
par Matthieu Poulain
Des ingénieurs au sommet, une planification longue, une obsession du «faire».
Pendant ce temps, la France a relégué ses ingénieurs derrière la norme, la gestion et la communication.
Ce basculement n'est pas idéologique. C'est un choix stratégique - et l'un des renversements les plus sous-estimés de notre époque.
1. Une asymétrie qui change tout : la masse contre l'élite
En France, nous formons environ 46 000 ingénieurs par an. Il en manque 15 000 à 20 000 rien que pour tenir France 2030.
La Chine, elle, en forme 1,4 à 1,5 million.
Pour 1 ingénieur formé en France, la Chine en forme 30. Et cette «surcapacité cognitive» est délibérée.
Elle permet de raccourcir les délais, de saturer la R&D, et de déployer des projets industriels à un rythme qui rappelle nos Trente Glorieuses.
2. Le statut social : du bâtisseur au gestionnaire
En Chine, l'ingénieur reste un bâtisseur national : TGV, nucléaire, rover lunaire... c'est le héros collectif.
En France, le titre reste prestigieux mais la trajectoire s'est déplacée : → plus de gestion → plus de conformité → moins de matière, moins de terrain
L'ingénieur français construit moins. Il cadre, pilote, valide, optimise.
On continue d'aimer le mot «ingénieur». On a oublié ce qu'il signifie : faire, pas seulement gérer.
3. Là où tout se décide : qui gouverne quoi ?
Dans les années 70, la France était dirigée par des profils techniques. C'est ce qui a permis le nucléaire, le TGV, Ariane.
Aujourd'hui, la Chine applique exactement ce modèle :
- Xi Jinping (ingénieur chimiste)
- «Gang des ingénieurs» au Politburo
- montée des «cosmocrates» issus du spatial et de la défense
Pendant ce temps, la France s'est administrativisée : juristes, énarques, communicants. Nous régulons plus que nous construisons.
La Chine pense en décennies. La France pense en amendements.
4. 2030 : ce que nous risquons vraiment
- IA : la France régule, la Chine produit.
- Nucléaire : la Chine construit en 5 ans, nous en 15.
- Industrie : les usines rouvrent, mais il manque les bras pour les faire tourner.
Le danger n'est pas économique. Il est civilisationnel : devenir un pays qui regarde faire.
L'analyse complète est disponible ici
Dans l'épisode de cette semaine, je détaille :
- pourquoi les ingénieurs ont perdu du pouvoir en France
- comment la Chine a repris notre ancien modèle
- pourquoi cette divergence est stratégique
- et ce qu'il faudrait changer pour 2030
Voir la vidéo complète sur YouTube :
Conclusion : voulons-nous encore être un pays qui fait ?
La France des années 70 croyait au futur. La Chine de 2025 y croit encore.
La question n'est plus : «Combien d'ingénieurs formons-nous ?» Mais : «Voulons-nous encore être une nation bâtisseuse ?»
source : Planète Ingénieur via Strategika
